Le photographe-naturaliste-poète Simon Bugnon, nous invite dans son dernier livre Ardèche intime, une éphéméride sauvage, à des balades sensibles, en quête de l'éphémère magie d'un instant suspendu.
Ce nouvel ouvrage de 260 pages et 310 photos prend la forme d'un carnet de nature sensible.
Le talentueux photographe ardéchois nous propose au fil des mois et des saisons, d'écouter les rythmes de la nature. A partir des images cueillies, des ressentis et des observations du moment, il partage son Ardèche intime.
"Depuis mes débuts photographiques, je n'ai eu de cesse d'apprendre à honorer les furtifs rendez-vous que peuvent m'offrir, tout au long de l'année, les montagnes et vallées arpentées. Des moments éphémères qui auront tôt fait de m'échapper si je ne fais pas suffisamment preuve de disponibilité et de synchronicité. Tant que l'on sait qu'ils pourront se répéter au sein de symphonies toujours changeantes, avec leurs infimes variations, tous ces rendez-vous confortent l'appartenance à des rondes immuables. Une perception que rend possible un fort ancrage aux lieux, une relation intime avec la nature..."

Imprimé en Auvergne-Rhône-Alpes par la SEPEC (Ain), cet ouvrage est le 10eme livre photos de Simon Bugnon édité par Septéditions.   

AVANT-PROPOS DE SIMON BUGNON

D’aussi loin que remontent mes souvenirs d’états contemplatifs, la conscience du caractère fugace de l’instant y a toujours été associée, en même temps que le sentiment d’immuabilité. L’éphémère magie d’un instant, qui pourra avoir d’infinies répétitions, mais jamais à l’identique. Ce n’est pas pour résister à l’écoulement du temps, en figeant des souvenirs, que s’est développée ma pratique photographique. C’est pour honorer et témoigner de cette impermanence, source de tant d’émerveillement dans ma quête d’accord avec les rythmes du vivant. Sans doute éprouvais-je de la détresse à m’adapter à la linéarité et à l’accélération du temps de notre ontologie culturelle, autant que du réconfort dans cette impermanence perpétuelle et dans le sentiment d’imbrication dans des cycles à l’intérieur de cycles.
Depuis mes débuts photographiques et la publication de mon premier livre, avec Septéditions, en une quinzaine de printemps, je n’ai eu de cesse d’apprendre à honorer les furtifs rendez-vous que peuvent m’offrir les montagnes et vallées arpentées, tout au long de l’année. Rendez-vous avec un insecte, une fleur ou une tapisserie dorée sur un rocher, qui auront tôt fait de m’échapper si je ne fais pas suffisamment preuve de disponibilité et de synchronicité.
Tant que l’on sait qu’ils pourront se répéter au sein de symphonies toujours changeantes, avec leurs infimes variations, tous ces rendez-vous confortent l’appartenance à des rondes immuables. Une perception que rend possible un fort ancrage aux lieux, une relation intime… Tant d’infimes miracles s’offrent à nous lorsque l’on ralentit pour s’accorder aux cycles, se laisser accepter par l’endroit, et que l’on tend l’oreille aux expressions sauvages derrière les apparences domestiquées de terres profondément travaillées par l’histoire humaine. Entre le temps des papillons et celui qui sculpte les vallées…
Bien des cycles après mes premiers livres, et comme en écho à ceux-là, le présent ouvrage suit une idée en apparence simple : rassembler une partie de ces rendez-vous situés localement avec le monde vivant tout au long d’une année. J’ai pour cela regroupé des images prises au long des dernières années en les ordonnant suivant les dates des prises de vues. En y rattachant des souvenirs généralement précis des ressentis et observations du moment, pour imaginer une sorte d’année idéale pendant laquelle je serais pleinement disponible à contempler ce qui s’offre.
Ce procédé, s’il peut sembler amener une part fictive dans le déroulement, me paraît intéressant en ce qu’il fait bifurquer d’un temps linéaire pour revenir à une perception cyclique. Dans ce recueil de fragments, il a fallu opérer des choix. Nombre d’endroits et d’êtres qui me sont chers n’ont pu y figurer.

La forme d’un carnet d’observations de terrain se prêtait également davantage à une approche plus descriptive que sensorielle… Les annotations de lieux sont parfois volontairement imprécises, leur anonymat étant seul à même de les préserver. Le secteur géographique représenté ne s’étend pas, loin de là, à l’ensemble du département, il concerne surtout la partie méridionale et la montagne, en ces lieux familiers où je reviens encore et encore.

Derrière la volonté de faire ce livre, il y a aussi un sentiment d’urgence. En poursuivant cette quête de beauté au plus proche, je ne peux que constater, localement, les répercussions du désastre en cours. Avec une accélération palpable ces dernières années du dérèglement de ce qui semblait perpétuel, ces rendez-vous sont de plus en plus nombreux à ne plus advenir. La perte des repères…
Perte du manteau neigeux, des couleurs d’automne, de la chronologie des floraisons, de la densité de populations d’amphibiens, des foisonnements d’insectes… En lien bien sûr avec la fréquence croissante d’anomalies climatiques, les canicules, sécheresses, incendies à répétition…
D’autant que les pressions se multiplient sur les espaces où l’indomestiqué s’exprime encore : bétonisation à tout va, champs de panneaux solaires qui remplacent la garrigue, problèmes liés à la fréquentation de lieux sensibles qui se retrouvent à la merci des algorithmes des réseaux sociaux. Comme on ne peut regretter ce que l’on n’a pas connu, il peut être aisé d’ignorer l’effondrement en cours en s’émerveillant des richesses en biodiversité que ces terres ont encore à offrir.

Puissent ces pages donner une idée d’un certain état du merveilleux tissu d’existences qui résistent tant qu’elles peuvent, qui nous enjoignent à nous accorder avec tout le respect requis, à apprendre sans cesse à affûter nos sens pour les comprendre, les considérer et coexister…